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Covid-19 : mort de l’architecte italien Vittorio Gregotti

Agé de 92 ans, il avait pris une part importante à la transformation de la ville de Milan en concevant le plan de requalification du quartier de la Bicocca, le plus grand projet de transformation urbaine jamais réalisé à l’échelle de l’Italie.
Le décès de Vittorio Gregotti, victime des suites d’une pneumonie liée au Covid-19, le 15 mars, à Milan, à l’âge de 92 ans, a secoué l’Italie, où cet architecte avait acquis un statut de star, surprenant pour les Français peu avides de culture architecturale. Sa disparition fait revivre plusieurs décennies d’une histoire, car porteuse du meilleur et du pire de la construction d’après-guerre jusqu’aux dernières décennies de ce nouveau millénaire.

Il était né le 10 août 1927, à Novare, dans le Piémont, entre Turin et Milan. 1927, année où Mussolini tente avec un succès variable de convertir l’architecture aux vertus esthétiques du fascisme. Vittorio Gregotti est diplômé de l’Ecole polytechnique de Milan en 1952. Dès 1953, et jusqu’en 1968, il se fait connaître avec les designers Lodovico Meneghetti et Giotto Stoppino. Période intense pour Gregotti : enseignant à Venise, Milan, Palerme, conférencier dans le monde entier, Grand Prix international à la 13e Triennale de Milan en 1964, il devient directeur des arts visuels de la Biennale de Venise de 1974 à 1976. Il fonde ou dirige plusieurs revues comme Casabella, Rassegna, et écrit pour des quotidiens comme le Corriere della Sera et La Repubblica. Enfin, il publie plusieurs ouvrages, parmi lesquels Le Territoire de l’architecture (1966, en France aux Editions de l’Equerre, 1982) et La Citta visibile (« La Ville visible »1993, non traduit).

Il y décortique la modernité et ses adversaires. Comme beaucoup d’architectes italiens dépourvus de commandes (ce qui n’est pas son cas, loin de là), il déploie une langue saturée de références philosophiques et éloignée de la pratique architecturale peu propice à l’éveil de nos chers étudiants qui, dans le même temps, reçoivent, des Etats-Unis notamment, les signaux d’un post-modernisme naissant. En résumé, voici ce que nous pouvons glaner de plus fort : « Durant ces quarante dernières années, la transformation la plus importante en provenance de la “critique positive” de la modernité en architecture consiste en la reconnaissance de l’importance de la prise en compte du contexte – historique et géographique – ainsi que des éléments signifiants spécifiques du site. Le projet architectural moderne devient alors conscient de sa propre nature, dialogue entre l’existant et les modifications qu’il y apportera » (La Ville visible).

Théoricien constructeur

On parle alors pour l’Italie d’architecture de papier. Tandis qu’en France, par exemple, les autorités inventent un arsenal de concours susceptible de faire éclore et construire de nouveaux talents diversement convaincants, l’Italie devient championne dans l’art de rêver l’univers construit. Les théoriciens foisonnent qui, pour plusieurs d’entre eux, expriment leur pensée à travers des projets constructibles ou susceptibles de passer dans l’ordre du réel. A la première Biennale d’architecture de Venise, en 1980, le public découvre ainsi dans les différentes sections les noms d’Aldo RossiGehryPortzamparcBofillHolleinIsozakiKoolhaasVenturi, Moore, Purini, etc. Tiens, pas de Gregotti !

Gregotti, certes, est un théoricien, mais il est somme toute impossible à intégrer dans cette première version de la Biennale C’est un constructeur qui demeure « moderne », c’est aussi un conceptualiste, et même un régionaliste dont l’œuvre est assez importante pour qu’on y mesure les différentes quantités d’« isme » qu’on peut y découvrir. Son agence est bien structurée pour répondre à toutes les demandes, jusqu’à l’échelle de la ville.

Passant du discours au chantier, il a mis sur pied son agence, Gregotti Associati International. Plus de vingt ans plus tard, en 1999, Gregotti, qui a du nez, fondera la société Global Project Development, spécialisée en design et en développement architectural durable pour les pays en essor touristique, avec pour objectif le respect de l’environnement. Il signe les grands magasins haut de gamme de la chaîne La Rinascente, à Palerme et Turin (1969), les nouvelles universités de Florence (1971) et de Calabre (1973), le parc des Forums impériaux à Rome (1984). Le Portugal lui doit le Centre culturel de Belém, la France le stade des Costières à Nîmes. Vittorio Gregotti signe également d’immenses programmes de requalification urbaine : les plans directeur d’Avellino, Pavie, Turin, l’opération Sextius-Mirabeau et le Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence), l’opération Etoile à Strasbourg (1991).

Il a pris une part importante à la transformation de la ville de Milan en concevant, sous l’impulsion de Pirelli, le plan de requalification du quartier milanais de la Bicocca (2005), le plus grand projet de transformation urbaine réalisé à l’échelle de l’Italie, au sein duquel il conçoit le Théâtre Arcimboldi (2002).

source : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/16/covid-19-mort-de-l-architecte-italien-vittorio-gregotti_6033222_3210.html